Une île musicale
L’île est un poème vivant. C’est la deuxième fois que je viens ici et ce sont les mots qui me viennent naturellement. Je sais pourquoi. Cette île est un monde à part, hors du temps, et ici tous les éléments résonnent ensemble dans un espace où les choses sont réduites à l’essentiel. Comme dans un poème. Et puis il y a ce cliquetis incessant de milliers d’objets bruissants à l’unisson quand le vent souffle, faisant émerger une mélopée harmonieuse qui enveloppe l’île. Okishima, île aussi musicale, apparait comme un mirage sur le lac Biwa, ce lac qui tient son nom du luth japonais car sa forme évoque celle de cet instrument. Ce biwa-là, c’est l’instrument de la déesse Benzaiten, divinité Bouddhiste de la poésie et du chant, aussi associée aux îles, à la mer, à tout ce qui est fluide, à tout ce qui coule. Aussi, sur les hauteurs de l’île, un autel est évidemment dédié à cette divinité.
Biwa désigne aussi le fruit d’un arbre dont l’instrument tient lui-même son nom, celui du Néflier du Japon, arbre très présent sur l’île. Tout se tient.
Le lac Biwa a quatre millions d’années, c’est un des lacs les plus vieux du monde et, particularité unique de l’archipel japonais, composé de milliers d’îles dont un peu plus de 400 sont habitées, Okishima, seule île habitée du lac Biwa, est aussi la seule île en eau douce habitée au Japon, avec ses 280 âmes qui la peuplent.
Ici on peut voir que l’on garde un peu plus qu’ailleurs la mémoire du lien avec la terre nourricière et la nécessité de le garder. Cette île est peuplée de nombreux pêcheurs et beaucoup de familles ont leur jardin. Mais qu’en sera-t-il dans vingt ans ? Quel est l’avenir pour cette communauté qui, pour une bonne part, sait encore trouver les ressources pour se nourrir dans son environnement ? Ce sont les questions que l’on se pose en découvrant l’île. La majorité des habitants ici sont des personnes âgées et le peu de jeunes y vivant se sentent appelés par l’horizon. On peut les comprendre : à Okishima l’île est petite mais l’horizon est vaste !
Pourtant quelques personnes sentent que vivre ici est une chance et ont à cœur d’y développer une certaine autonomie. Elles veulent garder l’île vivante et y imaginer un futur. Ainsi de l’amie Hitomi-san, native de l’île, patronne d’une petite maison pleine de lumière nommée Mizu-No-Sei, “La Fée de l’eau”, qui tient autant du phare que du café-restaurant. Ce refuge presque intemporel posé sur les bords du monde, lieu parfait pour contempler dans l’ivresse la lune et son reflet sur l’eau, fait aussi office de galerie pour quelques beaux artistes marginaux, photographes, artistes-peintres, et aussi musiciens puisque nous avons joué deux fois chez elle. Ici on sait se réchauffer au coin d’un bon feu de bois. C’est Hitomi qui nous accueille ici pour la résidence. Elle et quelques personnes de l’île réfléchissent à créer de nouvelles dynamiques pour vendre d’autres produits que ceux de la pêche, issus de Okishima. Elles se soucient aussi des différents problèmes que rencontre l’île, notamment ceux liés à la pollution par le plastique, et aimeraient y apporter des réponses. Mais il n’est pas toujours facile, sur une île où la moyenne d’âge est de plus de 70 ans et où le respect des anciens est primordial, de faire bouger les choses.
Mizu No Sei – La Fée de l’Eau
Vision
Lorsque nous arrivons sur l’île avec Yoko, c’est la pleine lune. On accueille le Ise Dai Kagura, un rituel de danses et de musiques sacrées shinto, dédiées à la purification. Pour l’occasion, il y a “Shishimai”, littéralement “ La Danse du Lion”. Arrivés en bateau le matin depuis la côte, les membres de cette petite troupe visitent les maisons. Un homme avec un masque de lion, accompagné par les musiciens, danse avec des sabres devant chaque porte, avant de rentrer ensuite réciter un sutra. C’est du sérieux. Il s’agit là de chasser le mauvais sort et de s’assurer les bonnes récoltes. C’est avec une attention toute particulière, empreinte de solennité, que les habitants vivent ce moment.
Comme le hasard n’existe pas, arriver ici en ce jour de pleine lune et assister à un tel rituel résonne en moi. Nous sommes ici en résidence de création pour Les Montagnes Bleues, projet à l’écoute de la Terre-Mère, et nous voilà témoins de mémoires vitales qu’elle nous souffle, d’une sorte de rappel, par ce rituel connecté à l’invisible qui se perd dans la nuit des temps. En écrivant ces lignes, je pense à la stèle qui se dresse à l’entrée de l’île et qui remercie les poissons pour leur sacrifice.
Je pense aussi à l’histoire de la fondation de ce temple incroyable, magnifique et rayonnant, avec sa statue de Kannon bâtie de bois de santal, qui trône au sommet d’une montagne sur la côte non loin d’ici, où nous avons donné un concert, et depuis lequel l’horizon s’ouvre sur le lac Biwa au loin, le temple Kannonshoji : http://lesmontagnesbleues.com/au-temple-des-sirenes/
À l’issue de cette journée m’ayant bien nourrie, après une longue balade sur les sommets forestiers et lumineux de l’île, c’est avec joie que le soir venu, avec la lune pleine brillant sur le lac, je me suis réfugié dans la maison fée de Hitomi-san pour y écrire “Sur l’île”, que vous découvrirez bientôt par ici et dont vous pouvez lire un extrait plus bas.
Quelques images des concerts sur l’île
Sur l’île
“Sur l’île ils sont venus pour ouvrir le matin / Un cliquetis, les vagues et nos milliers de rêves /Ils ont des lames claires, d’argent, la lune est pleine / Pour couper tous les fils qui nous tirent vers le lac
L’île a tant de mémoire, tout autant qu’elle la perd / Ici le temps ne passe pas, tout autant qu’il se perd / Alors il faut bien de ceux-là qui nous reviennent des montagnes / Des horizons qu’on a perdu avec leurs lames”
Aussi, à découvrir ou à redécouvrir, un live filmé pendant cette résidence à Okishima , “Les Migrateurs”, premier extrait de l’E.P « HIRONDELLE », partie intégrante du projet :