Une immersion. C’est le mot qui me vient quand je repense à ces moments passés dans l’ocre Marrakech, dans la lumière du soleil et la chaleur, avec « Les Mamans Douées », femmes et mères de la médina, chanteuses et percussionnistes traditionnelles, coeur vivant de Dar Bellarj la blanche, “Maison des Cigognes” dans cette ville des cigognes.
“Les Mamans Douées” ne sont pas toutes des mamans au sens littéral du terme. Comme nous l’a expliqué lors de notre rencontre, Maha Elmadi, directrice de Dar Bellarj, qui porte ce groupe : “si celui-ci se serait appelé Les Femmes Douées, nous aurions visualisé en premier le corps de la femme, ce qui n’était pas souhaité. Car c’est avant tout l’esprit, le cœur de la maman, qui est ici mis en avant dans ces mots, et toutes les femmes connaissent cet esprit ! ”
À cheval ici sur trois mois, de septembre à novembre, pour une résidence de création dans le cadre de ces “Montagnes Bleues”, en grande partie passée en la Maison Denise Masson, grâce au soutien de l’Institut Français, dont elle une annexe, que sur l’impulsion de Nada Kadiri et Adam Salah Edine, de L’Moutalâte, organisateur de cette résidence, nous avons travaillé avec Dar Bellarj et avec ses “Mamans Douées”. Cette partie du projet au Maroc étant reliée à cette terre de mes ancêtres, avec laquelle je souhaitais renouer, pouvoir travailler avec ces détentrices d’un patrimoine immatériel fût une sacrée chance pour tenter une rencontre aux frontières et au-delà, et nous sommes reconnaissants à Nada et Adam d’avoir pensé à créer cette rencontre inespérée.
Maison Denise Masson
Hadra
“Les Mamans Douées” pratiquent la “hadra”, ce qui en arabe veut dire, littéralement “présence”. Une présence partagée dans des chants soufis féminins à l’entêtante énergie.
Mais quelle est cette présence dont on parle ici ? Celle du musicien présent à ce qu’il joue, à ce qui est ? La présence d’un dieu immanent ? Sans doute un peu les deux, j’imagine !
En résonance avec cette idée de “présence”, je repense à une discussion que j’ai eue avec l’artiste Italo-française, Delphine Valli, que j’ai rencontrée ici et qui a grandit en Algérie, venue aussi en résidence de création à Marrakech, pour travailler notamment autour de la thématique de l’impossible retour. Alors que nous buvions le café, et que nous échangions au sujet de nos racines arabiques et des sentiments d’exil qui peuvent nous habiter parfois, elle m’a dit quelques mots qui m’ont parlé. Évoquant les gnawas, et faisant le lien avec le soufisme, elle me disait que pour eux l’exil est d’abord un exil de soi, du “SOI”, et qu’à travers leurs musiques et leurs danses, ils revenaient à “la présence”, au présent, le transcendant en quelque sorte. D’entendre ces mots fut un bon rappel à la simplicité, et en écho à ma propre “pratique”, car en ce qui me concerne, je savais d’intuition en venant ici, que le meilleur moyen de renouer avec ma lignée marocaine passe pour moi par la musique, puisque j’ai la sensation qu’une énergie dans mon chant, vient directement d’ancêtres du Maroc.
Me reviennent ici les mots de “Belle Flèche Peinte” de son nom indien, Joseph Rael, auteur, natif du “continent tortue”, l’Amérique, qui dit, dans son livre “Être et Vibration”, qu’un véritable être humain est quelqu’un qui écoute. “De cette capacité d’écoute intérieure et extérieure, vient la qualité d’humilité. Le véritable auditeur n’est plus limité par ses désirs ou ses attachements. Au lieu de cela, il est sensibilisé à la conscience (…). Dans ce processus d’écoute, nous trouvons une voix pour nous guider. C’est en ce lieu que l’inspiration se cache.”
Écoutons ici “Les Mamans Douées”, interpréter, à Dar Bellarj, lors de notre première rencontre, une “hadra” évoquant la fille du prophète, belle comme la lune :
ATELIERS
Jusqu’au dernier moment, je ne savais pas comment j’allais mener ces ateliers, pour aller vers une création commune, en intégrant la tradition musicale des “Mamans”. C’est juste avant le début de ceux-là que j’ai envisagé une méthode qui, par la suite, s’est avérée être inspirante et assez libératrice.
Il s’agissait de commencer chacun de ces ateliers par un voyage intérieur. Nous fermions alors les yeux, et pendant au moins 15 minutes, je guidais de ma voix le chemin à suivre. Nous allions d’abord à l’écoute de nous-même, avant de visualiser un lieu bienfaisant, dans la nature. Nous prenions ensuite le temps de bien ressentir en nous comment l’énergie de ce lieu, l’eau, l’air, le vent, la végétation, le silence, le chant des oiseaux, la lumière, changeait notre chimie intérieure, notre état d’esprit, nous imprégnant alors de cette vie qui traverse chaque chose, de ce monde bien vivant dont nous ne sommes pas séparés.
À la suite de ces voyages, nous ayant rendu en même temps plus ouverts et plus conscients au monde, plus sensible à l’écoute intérieure, nous écrivions sur des thématiques reliées à la Terre-Mère, et nous improvisions en chantant en cercle ces textes, accompagnés de la guitare, du violon, des percussions. Avec l’aide précieuse de Aziz Bouyabrine, directeur artistique de Dar Bellarj, qui accompagnait et traduisait chaque atelier, nous recueillons ensuite les textes que nous passions au tamis, afin d’y trouver les perles desquelles je m’inspirerais pour créer une pièce à travers ces différents ateliers.
Comme souvent dans ce projet, les choses prennent leur place avec une évidence qui me déconcerte positivement. Ainsi du déroulement de ces ateliers, avec ces voyages intérieurs nous invitant à une reconnexion au vivant, et qui furent aussi, du coup, certaines des introductions aux restitutions publiques. Je peux encore ressentir la tranquillité et l’ouverture d’esprit qui s’est installé dans l’atmosphère à Dar Bellarj à la suite d’un de ces voyages que j’ai proposé au public, lors de la restitution dans ces lieux.
Ces ateliers avec leurs voyages en introduction, les allers et retours entre l’écoute intérieure et extérieure, les moments d’écriture et l’improvisation sont devenus une sorte d’humble boussole réconfortante à travers ces jours, nous invitant à l’équilibre, aussi bien dans le cercle des ateliers, que dans le cercle de vie.
Dans le cadre de ces ateliers, Yoko a pu aussi partager une invitation à l’harmonie, à travers une initiation à la culture japonaise, et par la fameuse berceuse des eaux pures, “Hotaru Koi”, que les mamans ont apprise et chantée. Quelle surprise d’ailleurs de retrouver des enfants m’interpellant dans la rue, chantant “Hotaru Koi” de mémoire, à la suite de la restitution à L’Moutalâte, dans le quartier populaire de M’hamid : http://lesmontagnesbleues.com/hotaru-koi/
De ce travail, plusieurs choses ont germé, et deux se sont imposées. Une chanson incluant la Darija (arabe marocain), dont vous pouvez découvrir un extrait par ici :
Ainsi qu’un cercle dans lequel “Les Mamans” improvisent des poèmes qu’elles ont écrits lors des ateliers, exaltant la Terre Mère :
Ces 45 jours sont passés comme l’éclair, et il reste du travail à faire pour que nous arrivions à une vraie création commune avec “Les Mamans”, intégrant plus profondément leur tradition. L’aventure pour “Les Montagnes Bleues” continue donc encore sur ces terres, avec aussi plusieurs idées qui se dessinent et dont j’aurais l’occasion de reparler.